AG – Pentecôte 2008
9 et 10 février 2008
Quel avenir pour nos communautés ?
A la rentrée de septembre 2008, je serai curé de chacune des quatre paroisses de mon doyenné. Soit un ensemble de 17 villages, de 21 lieux de culte pour 27 à 30000 habitants.
Nous sommes 28 prêtres de moins de 65 ans. Dans les dix ans qui viennent, cela n’en fait pas deux par doyenné et cela concerne aussi bien le rural que la ville.
Vingt ans après, le schéma du synode n’est plus opérant. Alors que nous avions pensé les nouvelles paroisses organisées autour du curé et de la pratique eucharistique dominicale sur un territoire à taille humaine, humainement et chrétiennement cohérent, il ne peut plus exactement en être ainsi aujourd’hui. Nous en arrivons à nous demander ce qu’est une communauté chrétienne, ce qu’il faut pour qu’elle existe, qu’elle vive ?
1. La communauté chrétienne
La communauté chrétienne ne se réduit pas à l’assemblée dominicale. Au demeurant, cette assemblée est le signe de l’existence d’une communauté, une communauté de baptisés, qui croit en la mort et la Résurrection de son Seigneur et qui se rassemble le dimanche et pas un autre jour.
Une communauté est faite de liens tissés, de liens humains, les liens de la vie de tous les jours. Non seulement les liens des membres de la communauté entre eux, mais aussi des membres de cette communauté avec les hommes et les femmes au milieu desquels ils vivent : liens humains, associatifs, politiques peut-être. Elle est la communauté des baptisés qui fait corps, au milieu des hommes et des femmes de ce temps et, ce faisant, elle rend présent le Christ, elle est signe de sa présence.
Pour le dire d’une autre manière, la communauté pour exister doit être incarnée dans des liens humains, sur un territoire donné, incarnée dans une histoire locale.
C’est une donnée anthropologique : l’être humain est ainsi fait qu’il a besoin d’habiter un territoire, qu’il a besoin de savoir où il habite, qu’il a besoin de racines. Il est intéressant de constater qu’à l’heure de la mondialisation, du village planétaire -qui pourrait lisser les particularismes des peuples- on n’a jamais autant entendu parler des identités nationales ou régionales, du peuple corse, du peuple basque, de la culture bretonne. Comme si l’humain, pour ne pas être absorbé par la globalisation, revenait à sa terre. Nous sommes des animaux sociaux et ce faisant nous avons besoin de repères spatiaux-temporels à taille humaine.
La communauté est lieu de vie et repère pour ses habitués, mais elle est aussi repère pour ceux qui ont besoin d’elle : résidant à tel endroit, je me tourne vers telle communauté. Si les communautés ne sont plus clairement identifiées, nos frères et sœurs dans l’attente d’un service, d’un accompagnement vont se décourager et ne plus rien demander. Pas de témoignage sans une communauté visible. Un paroissien qui ne pratique pas dans une de mes paroisses mais qui préfère venir au Mans « parce que c’est plus si ou plus ça », me disait qu’il ne comprenait pas pourquoi l’Eglise tenait tant à ce découpage territorial, qu’après tout, il fallait mieux aller vers des communautés d’élection, où chacun se sent bien !
Génération cocooning ! Ce raisonnement me semble dangereux à deux titres : le premier que je viens d’évoquer –on ne fait plus signe là où on vit-, le second en créant non pas des communautés mais des communautarismes. Ce n’est pas cela l’Eglise. L’Eglise, c’est apprendre à vivre ensemble, à construire la paix ensemble dans la diversité des manières de vivre et de croire, pour dire au monde que cette paix est possible et il y a là un enjeu de Salut pour le monde ! Voyez comme ils s’aiment !
Si nous restons sur le schéma du synode, nous allons étendre encore les territoires. Nous ne ferons pas communauté chrétienne. Nous ne serons pas signes si nous centralisons la vie chrétienne au niveau du doyenné ou de supers paroisses.
Quoiqu’en disent les sondages, il n’est pas juste de penser que les personnes se déplaceront. Nous l’avons vérifié lors des regroupements de 1988 et, aujourd’hui encore, les manifestations de doyenné ne rassemblent que quelques convaincus, les autres, dans le meilleur des cas, restent derrière leur téléviseur. Nous allons abandonner des chrétiens qui ne seront plus signes de la présence du Christ là où ils vivent.
De ce point de vue, la communauté chrétienne, serait l’ensemble des baptisés vivant leur humanité et leur foi entre eux et avec les non-chrétiens, sur un territoire donné, à taille humaine. Cette communauté, identifiée comme telle, prend corps dans l’assemblée dominicale eucharistique ou non.
2. Mon expérience dans le doyenné Couronne-Ouest
Pour l’heure, je suis curé de trois des quatre paroisses de mon doyenné. A mon arrivée sur le doyenné, il y plus de quatre ans, j’étais plutôt partisan du centralisme. La réalité m’a complètement fait changer de point de vue.
Un confrère me disait un jour : « Je ne sais pas comment tu fais, moi je ne pourrais pas changer de public tous les dimanches, j’ai besoin de retrouver les mêmes gens ».
Personnellement, j’ai horreur de la routine, voilà qui tombe bien, mais surtout, je me rends compte de l’importance de préserver l’unité des communautés. Elles sont chacune différentes, même sur un petit territoire comme mon doyenné. Elles ont chacune leur histoire, leur caractère, leur tempérament, leur cohésion. Et c’est ce qui fait leur force, leur beauté. J’ai appris à les aimer chacune avec leurs particularités, signe de leur incarnation.
J’ai plaisir à les retrouver le dimanche, les unes différentes des autres. Si j’avais centralisé la vie chrétienne des communautés sur la Suze par exemple, j’aurais fait disparaître cette incarnation et il n’y aurait plus eu de témoignage. J’ai vite réalisé que je ne serais pas suivi. Et j’ai compris alors l’importance de l’enracinement local.
Avec les EAP des paroisses, nous avons fait le choix de travailler à l’autonomie des communautés chrétiennes. Je convoque l’InterEAP constituée de représentants des EAP et dans les jours qui suivent chaque EAP, localement, se réunit sans moi, sauf exception. Actuellement, nous réfléchissons à la mise en place de coordonnateurs d’EAP, je préfère aller plus loin et parler de « responsable de la communauté chrétienne ».
Il y a un accueil, au moins hebdomadaire, dans chaque presbytère. J’ai la chance d’avoir des présidents de sépultures connus et de plus en plus reconnus par une population qu’ils connaissent. Ils recroisent ensuite les gens dans les villages, à telle ou telle occasion. C’est cela qui tisse la communauté. Nous mutualisons nos forces pour la préparation au baptême et au mariage.
Pour le culte, je m’organise avec deux confrères de 73 et 80 ans pour assurer l’eucharistie dominicale. Jusqu’à cette année un quatrième confrère, plus âgé encore, dépannait l’un de nous pour une absence exceptionnelle ou un temps de vacances. Ce confrère est trop âgé aujourd’hui pour présider la messe le dimanche. Cette année, pour toutes les fois où l’un de nous manque, il a été décidé par les EAP des paroisses qu’il y aurait des assemblées dominicales autour de la Parole. Nous avons débattu et les EAP se sont dites prêtes, sous condition d’une formation pour mesurer les enjeux de telles pratiques, apprendre à faire et aider les membres de la communauté à réfléchir. De toute façon, c’était « assemblée de la Parole » ou rien et les membres des EAP ont vite réalisé qu’il en allait de la vie et de la visibilité de la communauté chrétienne. Ils ont pris le risque.
Nous en avons parlé à l’occasion certains dimanches, nous avons écrit un texte pour présenter les enjeux missionnaires et spirituels de se rassembler le dimanche autour de la Parole. Les équipes liturgiques, après formation, se sont lancées. Elles ont déployé des trésors d’inventivité pour proposer un rassemblement beau et priant et elles y ont trouvé du bonheur. Certes, il y a des gens qui choisissent d’aller ailleurs, mais ceux qui sont restés, qui ont fait l’effort de dépasser les préjugés, ont changé d’avis. J’ai des retours étonnants de personnes pas vraiment partantes à la base. Ils mesurent qu’un nouvel esprit de communauté se fait jour. Comme si livrés à eux-mêmes, livrés à leur propre responsabilité de baptisés, ils apprenaient à faire corps, à faire communauté.
A force de pédagogie, d’explication, d’esprit de corps, d’esprit d’Eglise, d’Esprit tout court, je mesure que les jugements évoluent. C’est pourquoi, je ne crois pas qu’il faille écouter outre mesure les sondages qui nous disent que les gens ne veulent pas de ces assemblées. Les chrétiens choisissent ce qu’ils connaissent. Nous ne pouvons pas leur en vouloir, 50% d’entre-eux ont plus de 65 ans. Enfermés que nous sommes dans la théologie du Concile de Trente, nous en sortirons si nous nous en donnons les moyens.
Je suis sûr qu’aujourd’hui certains de mes paroissiens ne répondraient pas, à cette question sur les assemblées de la Parole, ce qu’ils ont répondu l’an dernier dans le questionnaire. Ils se sont formés, ils ont réfléchi, prié j’espère, et surtout, ils ont vécu.
Pour conclure, je dirai que je mesure combien en fonctionnant ainsi, en travaillant à l’autonomie des communautés chrétiennes paroissiales, ces communautés se révèlent et, paradoxalement, la communauté qui a le plus de mal à prendre cette autonomie, c’est celle où je réside…
Nous pouvons nous interroger des heures sur ce qu’est une communauté chrétienne, sur ce qu’il faut pour qu’elle existe. Il faut peut-être que nous les curés, nous lâchions la main de nos communautés pour qu’elles se réalisent par elles-mêmes, que nous les laissions exister.
3. Un schéma pour l’avenir
Pour terminer, je résume ma pensée et je vous propose un schéma pour l’avenir, parce qu’il faut bien travailler sur du concret.
La mission de la communauté chrétienne est de vivre l’Evangile par les relations humaines qui la constituent. Ce faisant, elle propose la foi en étant signe de la présence de Dieu au milieu du monde, sur un territoire donné. L’enjeu se situe bien au niveau d’une transmission/proposition de la foi (Forum 1).
Or les sociologues qui ont travaillé les questions de transmission disent qu’il n’y a de transmission possible que portée par une institution forte qui développe « une politique », « une stratégie » de transmission, sur un territoire donné (argumentaire de Régis Debray, dans son livre Transmettre, Odile Jacob 1997).
En termes « catho », cela donne ceci : avec la Grâce de Dieu, il n’y a de proposition de la foi possible que portée par le peuple de Dieu, la communauté chrétienne locale, qui développe une pastorale de proposition, sur un territoire donné (pour nous la paroisse ou la communauté catholique locale). Même si la communauté chrétienne ne se réduit pas au territoire, cette notion territoriale me semble capitale d’abord d’un point de vue anthropologique : nous sommes des animaux sociaux qui vivons là et pas ailleurs.
Et voici le schéma :
Il semble incontournable de mettre en place des communautés catholiques locales au sein des paroisses et des doyennés (cf le travail des doyens en 2007), animées par des laïcs responsables au titre de leur baptême.
Le dimanche, la communauté se rassemblera autour de la Parole de Dieu (ADAP). Une fois par mois, ou deux fois par trimestre, les chrétiens de la paroisse se retrouveront pour l’Eucharistie.
Les différents services propres à la vie de nos actuelles paroisses sont peut-être à mutualiser entre les différentes communautés chrétiennes de la paroisse ou du doyenné.
Le prêtre, accompagnateur de ces communautés sur une paroisse donnée ou sur un doyenné, veillera à la communion du peuple de Dieu, à l’accompagnement spirituel des communautés locales. Il devient nomade.
L’enjeu d’un tel dispositif est :
– de ne pas éloigner la vie chrétienne des lieux de vie des chrétiens pour leur permettre d’être témoins là où ils vivent. Si nous centralisons la vie chrétienne autour du prêtre et de l’eucharistie nous allons désertifier chrétiennement les territoires et ne plus rien annoncer.
– de permettre à la communauté catholique locale de porter les joies et les peines de la communauté humaine locale avec les autres habitants, de se rendre solidaire.
– de permettre au prêtre de recouvrer une disponibilité pour tous à l’intérieur et à l’extérieur de la communauté (engagement associatif par exemple).
– de faire avancer l’œcuménisme en adoptant une pratique plus proche des communautés protestantes.
– de ne pas encourager les chrétiens à faire des déplacements qui concourent au réchauffement climatique…
Il me semble essentiel qu’un tel projet soit porté et défendu par la hiérarchie diocésaine, sans quoi nous n’aiderons pas le peuple de Dieu à réajuster sa pratique et sa foi.
Enfin, je crois qu’il faut avoir un peu d’audace, le peuple de Dieu est prêt à ces changements, demain, il sera trop tard.
Père Renaud Laby
Doyenné Couronne Ouest
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