Parler fait-il du mal à l’Église ?
Conférence de Jean Claude Eslin, rédacteur à la revue Esprit
Vendredi 27 avril 2012 à 20h30, au centre de l’Étoile, 26 rue Albert Maignan, Le Mans
Point de la situation
– 1968 : Humanæ vitæ
– 1985 : le synode vérifie le concile et en limite la signification. Réaffirmation de l’identité catholique, qui s’appuie sur le courant « traditionnel » plutôt que sur les partisans de l’ouverture au monde.
– Conséquences : les conférences épiscopales ne peuvent plus nuancer les orientations de Rome, les évêques ne peuvent plus prendre la parole.
– Tradition : le mot est pourtant riche et fort (= transmettre), mais il faut aussi la liberté.
– Il existe dans l’Eglise différents courants :
- Les traditionnels : identitaires, prosélytes et décomplexés
- Les conciliaires : discrets, sociaux et vieillissants
- Les libéraux : humanistes, émancipés qui supportent ou partent. Chrétiens souvent sans église, ils deviennent chrétiens culturels. Certains deviennent protestants (là où il y a une opinion publique libre).
Les formes extérieures de l’Eglise
– A l’intérieur de l’Eglise, peut-on, a-t-on le droit de parler ? En théorie, oui.
– Peut-on dire autre chose que la hiérarchie ? On se tait
- Par prudence, par respect.
- Pour ne pas faire de peine à notre mère l’Église.
- Ne pas s’opposer au pape qui est le berger.
- Pour ne pas aggraver la crise.
- On dit que l’Eglise n’est pas une démocratie.
- Pour ne pas briser l’unité qui est un grand bien.
- Parce qu’on a constaté l’inutilité de la prise de parole dans les synodes diocésains.
- Par incompétence.
- On garde la foi en se taisant.
- Constat : Angela Merkel, chancelière et protestante, elle, s’est fait entendre du pape.
Qu’est-ce que parler ?
– C’est passer de l’intérieur à l’extérieur, ou l’inverse, pour préciser sa pensée. C’est s’exposer, être acteur. Une vie sans parole est une vie morte. Parler c’est exister.
– Parler, ce n’est pas seulement protester. Cf. l’énumération par Jean-Louis Chrétien, des actes de paroles selon St Augustin : interroger, écouter, traduire, lire, enseigner, confesser, témoigner, chanter, crier, bénir, demander, jubiler.
– Au fond de la mentalité catholique, il y a la vision de l’harmonie. Il faut vivre la tension entre le consensus et le dissensus. Ces conflits et options ne relèvent pas que de la religion mais de la politique et de la culture.
– Culture : manière de traiter les actes élémentaires de la vie. Elle nous tient inconsciemment, maternellement (Kafka : « la petite mère a des griffes »).
Qu’est-ce que la parole publique ?
– Prêtres et évêques parlent en privé, mais en public, c’est différent.
– Y a-t-il un espace public dans l’Église ? Concile, synode, paroisse, associations, mouvements.
– L’opinion : c’est la question telle qu’elle m’apparaît et elle apparaît à chacun sous un certain angle de vue.
– La réforme des paroisses est depuis 20 ou 30 ans faite sans discussion avec les laïcs, les non-pratiquants ont du mal à suivre eux aussi.
– Impossible de dissocier opinion, espace public et sexualité : il y a inévitablement interaction. Minimiser les formes extérieures, c’est dramatiquement faux.
– Nommer l’Église seulement « corps du Christ », c’est insuffisant. L’Église est aussi « cité de Dieu, république chrétienne » (St Augsutin).
– Les espaces publics de l’Église se réduisent et se biaisent, peau de chagrin. Les sacrements sont empêchés.
– Bakthine, il y a deux types de parole : la parole grave, paternelle, sérieuse / ironique, plaisante, interactive (Voltaire). Le second type plus important que le premier.
La question de l’autorité et du pouvoir
– Pouvoir : mémoire et secret. Autorité : stabilité et source de transcendance.
– Durant le premier millénaire, l’Eglise a eu une forme épiscopale, durant le second, une forme papale. La réforme de Grégoire le grand (XI°) a voulu ignorer la forme épiscopale de l’Eglise. La question est religieuse et politique : c’est un système de subordination qui a été mis en place et pas remis en question par la Réforme ni par la Révolution française. C’est une habitude dont il est difficile de sortir.
– Le concile Vatican II a voulu rééquilibrer ces pouvoirs, mais comme aucune vraie synodalité n’a été définie, cela n’a pas abouti. Le centralisme est encore plus fort que du temps de Pie XII. La Curie plie mais ne rompt pas !
– Obéir à ses représentants, c’est obéir à Dieu : l’idée est de Bossuet (XVII°) et non de St Thomas d’Aquin. Cf. Ghislain Lafont : « Un renouvellement de la théologie de l’autorité est la condition de tout renouvellement catholique ».
– Aristote est le philosophe du multiple (« l’Être se dit diversement »), Platon, celui de l’Un. L’Église catholique est platonicienne.
– Cf. Jared Diamond, Effondrement : comment les sociétés décident de leur effondrement ou de leur survie (cf. la crise de Cuba, c’est en tenant compte de la diversité des opinions que la catastrophe a été évitée).
Que faire du principe hiérarchique ?
– La démocratie est une culture (égalité de tous), la hiérarchie aussi (cela vient de Dieu).
– La république a un pôle d’une unité, mais aussi un pôle de diversité. L’Eglise catholique a besoin de deux pôles, mais celui de l’unité est devenue obsessionnel, alors que la société est devenue libérale (priorité au choix privé, interprétation), et que le pôle hiérarchique est renforcé autour de la préoccupation de l’unité. Cette forme du pouvoir catholique ne convient plus qu’aux catholiques traditionnels et les prêtres sont coincés entre les laïcs et la hiérarchie.
– On a peur d’une réforme des ministères, on craint une baisse de niveau du fait d’une autre distribution des pouvoirs et de la sexualité.
– Les Églises protestantes ont beaucoup plus de facilité, car leurs structures sont désacralisées. La Réforme protestante a cassé le principe hiérarchique. Les protestants ont quatre siècles d’expérience : ils pourraient nous interpeller.
– Le modèle médiéval : organisation des médiations, relations inégales : rémission des péchés par la médiation sacerdotale. La réhabilitation de la sexualité ferait éclater le système, car le principe hiérarchique avait libéré de la sexualité. La notion de péché a structuré douze siècles de vie catholique, mais maintenant elle n’embraie plus.
– Un autre modèle est en gestation mais cela met du temps à se créer. Le mot hiérarchie n’a pas été dévalué exprès. La mentalité démocratique n’est pas auto-suffisante : le principe hiérarchique se raidit du fait des besoins de certitudes.
– La papauté, c’est le mystère politique de l’Un (c’est plus que la primauté de Pierre). Ce principe d’unité est rassurant, surtout en France où l’Église a été expulsée de l’espace public.
Conclusion
– Dans l’Evangile, il y a des ressources pour différentes sortes de sociétés et de cultures. L’Evangile pur ne fonctionne pas hors d’une culture et d’une civilisation.
– Les évêques sont privés de leur liberté de parole.
– Il faut croire à l’action extérieure.
– Le relativisme qui est décrié par la hiérarchie est simplement une manifestation du pluralisme.
CR à partir des notes d’Aline et Loïc de Kerimel
9 mai 2012
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